New York s’était mise belle ce soir de 13 octobre-là: pas un nuage dans le ciel, pis si y’avait des étoiles, on les voyait pas non plus, parce que sur la terrasse du 34938457923485ème étage du 2 Gold Street, les grattes-ciel shinaient de mille feux, comme s’ils allaient mourir demain.
Il me restait cinq jours avant de retourner à la maison, et j’étais donc allée visiter Dima, mon petit russe préféré, qui avait quitté l’école quelques semaines auparavant et qui se faisait maintenant payer un appartement dans un immense building du financial district. «You’re an asshole», que je lui ai dit en contemplant la vue pis en lui donnant des becs, parce que c’est pas juste de vivre là à 17 ans, et ça l’est encore moins quand t’as jamais travaillé de ta vie. Mais Dima lui il était beaucoup plus énervé de me présenter ses trois amis qui chillaient toujours dans le building (c’est drôle comment soudain t’as plein d’amis quand y’a un gym et une piscine et un grand foyer et des tables de pool dans ta maison). «They’re models, and heterosexuals!», qu’il m’a dit, BEN fier de sa shot. Je m’en crissais, tsé, moi le monde beau, ça me rend mal à l’aise ou ça m’ennuie à mourir, pis en plus, j’allais quand même pas me faire un new-yorkais avant de partir, encore moins un chum, un amour à distance, j’en avais eu un pis c’était ben en masse, mais bon, j’allais pas casser sa balloune pis faire ma bête.
Fait qu’on est rentrés, et effectivement, trois gars d’une beauté pas de mon style étaient sur le couch, à jaser de je sais pas quoi. Présentations malaisantes faites, je leur ai demandé ce qu’ils faisaient. «We’re thinking about doing mushrooms», que S, le gars half-black avec du drôle de linge qui me semblait une p’tite affaire frais-chier m’a répondu. «Mushrooms? That’s so 2003», que je lui ai répondu, parce que criss qui qui fait encore du mush ‘dans vie. «2003? So drugs have specific years?», qu’il s’est exclamé, pas trop sûr. «Well yes; except for weed, that’s like Chanel, it never goes out of style», que j’ai répondu. Il m’a regardé avec une face de j’suis pas sûr de comment j’me sens, comme la plupart des gens dès que j’ouvre la bouche, mais j’voyais dans ses yeux un peu de wow esti qu’est nice, ce qui est plutôt rare dans la vie.
Fait que les deux autres gars sont partis, pis moi, Dima pis S, on est allés se chercher de la bouffe pis de la booze (sauf pas de booze pour S parce qu’il disait qu’il buvait plus parce qu’il avait trop fait la fête, si j’avais su dans ce temps-là que c’était le plus gros understatement de la Terre, j’aurais pris mes jambes à mon cou, en tout cas). On a chillé longtemps, avec l’amie russe de Dima qui est arrivée par après, pis qui m’aimait pas vraiment pis que j’aimais pas vraiment non plus, elle parce que j’étais blonde pis nice, moi parce que who the fuck est capable de tolérer une jeune russe de 19 ans plus que deux minutes. Mais rendu là ça m’importait plus vraiment parce que je jasais avec S pis qu’on va se le dire, c’est rare en esti d’avoir des inside jokes avant quelqu’un à l’intérieur de dix minutes de conversation, fait que quand ça arrive, tu laisses pas ça passer.
Ça adonnait bien, S habitait à la ville voisine de la mienne (Sleepy Hollow, comme le film oui oui), fait qu’on est partis ensemble pour attraper le dernier train jusqu’à Tarrytown, la petite banlieue poche où moi j’habitais. J’te dis qu’il faut pas que tu manques le train, parce que sinon, t’es fait à l’os: le prochain est juste à 6h30AM, et je te parle d’expérience, on a beau dire que New York dort jamais, rendu vers 5h du matin, c’est pas mal plus tranquille et pas mal moins agréable que tu le penses. Mais on avait pas vu le temps passer, et rendus à Port Authority, il nous restait à peine cinq minutes avant le départ du train. Fait que ouais, comme dans les films, on a traversé Times Square à la course jusqu’à Grand Central, S avec ma grosse sacoche jaune fucking lourde dans les bras parce qu’elle ralentissait ma course de fille plus tant en forme. On a attrapé le train à la dernière seconde, comme dans les films encore, et puis en m’assoyant à côté de S, essoufflée comme jamais, une infime partie de moi s’est dit «T’es pas mal en train de te mettre dans ‘marde».
La ride de train de nuit est longue, tu passes par toutes les p’tites station, Croton Harmon, Hastings-On-Hudson, Spuyten Duyvil la ville avec beaucoup de Y. On a jasé jasé jasé, puis arrivés à destination, on a jasé encore en montant l’interminable côte qu’est la rue principale de Tarrytown, jusqu’au campus, où on a jasé encore, jusqu’à 4h du matin. Je sais plus de quoi on parlait, de tout, j’imagine; on a effleuré ma peine d’amour new-yorkaise et ses fiançailles rompues en Italie, je pense, sans savoir le crash qui se cachait derrière chacun. À un moment donné, il m’a dit «You know, I’m not dating anyone right now, I just got out of a relationship, so I’m just single, I just wanna be friends». J’ai dis j’m’en fous j’pars dans cinq jours. J’sais pas si je m’en foutais tant que ça, je pense que j’aurais aimé ça frencher, mais dans ma tête, une fois partie, je lui reparlerais plus jamais. Quand il est finalement retourné chez lui, il m’a serré dans ses bras, soulevée de par terre, puis je suis retournée dans ma chambre, où les deux espagnoles dormaient dans leur lit superposé, avec un feeling que quelque chose se buildait bien malgré moi.
On a passé trois des quatre jours qu’il me restait en inséparables. Sa mère qui parle juste espagnol m’a fait à manger, et m’a regardé dévoré le premier repas fait maison que je mangeais depuis deux mois avec une face de c’est qui cette fille-là beaucoup trop contente de manger. On a chillé longtemps dans le sous-sol de la maison à cinq étages mais vraiment minuscule de ses parents, où il était revenu après son break-up, à regarder des vidéos de Sophia Grace and Rosie, en se faisant écouter des chansons et en parlant de love, dans un cuddle fest impossible, enroulés comme deux siamois, en s’embrassant même pas. C’était bizarre, être aussi imbriqués sans faire plus que ça, mais c’était juste parfait comme ça.
La dernière soirée était la plus magique: après avoir fait nos frais dans une soirée hip dans SoHo avec mes friends du showroom où j’étais intern, on est retournés chez lui, où il a insisté pour me faire à souper, à trois heures de matin, parce qu’après tout c’était ma dernière soirée et qu’il fallait célébrer. Fait qu’on a mangé un spag de rêve, puis on est descendu dans la garderie de sa mère, déguisés avec son linge, pour faire un photoshoot avec son chien en riant comme des débiles. On a fini notre reste de nuit collés-collés sur la grosse chaise en raphia en se donnant pas des becs.
Le lendemain je partais, fait qu’il m’a raccompagnée jusqu’au campus pour m’aider à transporter le reste de mes bagages jusqu’à la station de train. On s’est couchés collé cinq minutes. «I’m horny», qu’il m’a dit. «Me too», que j’ai répondu, en le regrettant après, parce que j’suis bébé pis j’parle pas vraiment de ces affaires-là. Fait qu’on s’est décollés, puis il m’a droppé au train, en promettant de venir me chercher au showroom après mon dernier après-midi de travail pour m’accompagner jusqu’à la station de bus, pour pouvoir me dire au revoir une dernière fois.
J’ai été accueillie au showroom par une Sharon et un Theo surexcités. «YOU HAD SEX DIDN’T YOU?», qu’ils m’ont demandé dès que j’ai mis un pied dans la pièce. J’ai dis que non, ben non, il date pas, pis je m’en vais, pis bla bla bla. Ils m’ont pas vraiment crue. Comme promis, S est venu me chercher, dernière minute comme un gars dernière minute. Il était triste, il s’était chicané avec ses parents sur quelque chose de pas clair (que si j’avais su, encore une fois, esti que si j’avais su, en tout cas). J’avais pas imprimé mon billet fait que j’ai failli manquer le bus, j’étais mélangée pis j’voulais pas partir. Notre au revoir s’est limité à un «Let’s Skype soon» que je croyais pas et à deux becs sur les joues, puis je suis montée dans le bus, les yeux mouillés et le coeur vide.
Je suis arrivée à Montréal en plein milieu de la nuit. Le taxi m’a déposée sur ma rue Bernard qui m’avait tout de même infiniment manquée, puis j’ai monté mes millions de bagages jusque dans ma petite chambre vide de toutes mes choses. J’ai un peu défait mes valises, puis je me suis couchée, le coeur gros. Je me suis réveillée douze heures plus tard, en comprenant pas tout de suite où j’étais. Je me suis traînée jusque dans ma cuisine, qui était plus jaune mais blanche. Et là j’ai pleuré longtemps, parce que j’étais dans ma maison, mais j’étais plus chez moi.
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Le reste is history: les semaines qui ont suivi, on s’est parlé tous les jours, TOUS les jours, pendant d’innombrables heures, il est devenu mon meilleur ami, mon confident ma moitié; comme Carrie le dirait, he was this great man in my life: un gars grandiose, un gars brillant, un gars qui était plus homme que tous les hommes de la planète quand il mettait des leggings fleuris, un gars qui aimait le quinoa aussi profondément que moi, un gars qui me faisait rire aux larmes, un gars qui me connaissait mieux que personne, un gars que j’ai aimé d’une manière que j’avais jamais connue auparavant.
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C’est après que le passé est revenu embrouiller ce qu’on avait, pis qu’il a recommencé à noyer sa peine et à défigurer notre love, quarante onces à la fois. Je suis retournée le voir à la fin de l’hiver. C’était le spectacle le plus triste que j’avais jamais vu. J’ai pensé, naïvement, que ma présence le ferait ralentir, que peut-être que pour moi… Fait que j’ai fait tout ce qu’il voulait. Même quand je voulais pas tant. Parce que c’était ma responsabilité, c’était mon homme à moi, je l’aimais à la folie. Pis c’était pas juste bad, tsé, on riait aussi, des fois, je retrouvais mon best friend, mon amoureux, quand il m’embrassait sur le coin de la 37th sous la pluie, quand on se bataillait tous nus, tsé, souvent c’était drôle, souvent c’était nous quand même, fait que j’me disais que c’était peut-être pas si pire.
Mais jusqu’à temps que ça le soit plus.
J’ai continué longtemps parce j’y croyais, parce que je l’aimais tellement que je l’aurais épousé sur-le-champ s’il me l’avait demandé sérieusement (on s’était dit dans six ans), parce que déjà je me sentait tellement engagée que je me devais de rester, parce que j’avais pas pris autant de chances pour rien. À cause des malgré comme Céline dit, malgré ma maison que je quittais plus, malgré les avants-bras graffignés, malgré tout. Ce qui était à lui était à moi. Jusqu’au moment où ça a été assez.
* * *
C’est sûr que j’aurais pu rester. Des fois, même après quatre mois, je regrette. Je me dis que j’aurais du continuer, que j’aurais jamais du l’abandonner. Je l’imagine tout seul, triste. Ou je l’imagine avec des filles pis ça me déchire. Ou des fois je suis optimiste et je l’imagine rétabli et heureux. Tous les soirs avant de m’endormir je lui parle dans ma tête, je pleure un peu des fois, je lui dis que je l’aime, je lui dis à quel point il me manque.
C’est que tsé.
C’est inhumain de dire au revoir quand t’aimes toujours.