Avec lui, je me suis vue vraiment zen. D’un calme qui m’était étranger. C’est qu’il m’apaise; c’est qu’il y a quelque chose dans ce temps qu’on savoure et ces étapes qu’on ne brusque pas qui semblait me garantir une sorte de vérité, de clarté. Il a insisté pour que notre relation reste platonique, pour l’instant, pour se donner l’espace de devenir de vrais inséparables, établir une fondation béton. Il fallait donc apprendre à dormir entrelacés en siamois sans s’embrasser, choisir les mots, préciser les gestes. Ce fut facile, parce que l’envie d’être ensemble longtemps surpassait le désir d’être ensemble intensément. J’étais changée par ces quelques jours où il m’a gâtée comme une princesse, où j’ai tenté de repasser son pantalon et cousu le bouton manquant de son manteau. C’était une moi inconnue, mais qui, pour une quelconque raison, me semblait être plus moi que toutes les moi que j’avais été auparavant.
Quelques jours après son départ, c’est au téléphone, à la naissance du jour, qu’il s’est lentement ouvert à moi, me racontant ses écorchures passées, me confiant ses doutes, m’avouant qu’il était terrifié par cette intimité qui se tricote entre nous. Il s’est dit intimidé par ma force, mon ouverture. J’avais peur, moi aussi, mais j’ai écouté en étant celle qui était solide et qui avait confiance, silencieusement émue par cette mise à nu que je n’avais pas vue venir. Il m’a dit que mon arrivée dans sa vie était un cadeau. On m’avait rarement fait présent d’une sincérité aussi simple et humble.
Puis les jours ont passé, et une semaine étant ce qu’elle doit être, la routine a repris son cours, et j’ai navigué entre le boulot, le yoga, les amis, les petits événements du quotidien, qui à mon grand désarroi me semblaient légèrement ternis par son absence. Je m’étais fait prendre à mon propre jeu, lui ayant dit depuis notre rencontre qu’un jour il m’aimerait beaucoup plus qu’il ne le pensait, et me rendant compte qu’aujourd’hui il me manquait beaucoup plus que je ne voulais l’avouer. Puis mardi, mercredi, jeudi ont passé, presque sans nouvelles de lui, ce qui n’est en rien dans ses habitudes.
Et me voilà prise dans un ouragan de scénarios tous plus inimaginables et absurdes les uns que les autres. Peut-être qu’il regrettait ce qu’il m’avait dit. Peut-être qu’il sentait mon insécurité et, ayant trop souvent croisé le chemin de filles complètement cinglées, il avait changé d’avis. Peut-être qu’il trouvait la situation trop compliquée. Peut-être qu’il avait rencontré quelqu’un. Peut-être qu’il s’envoyait en l’air avec un million de filles beaucoup plus belles que moi.
Et me voilà terrifiée.
Parce que plus les jours passaient, plus ma peur grandissait. J’aurais voulu entendre sa voix, me calmer jusqu’à la prochaine tempête. J’aurais voulu me dénuder, lui dire « OK, je ne suis une mauviette, je suis complètement, profondément folle, il faut me rassurer, il faut que tu me dises souvent que tu tiens à moi, il faut que tu me convainques, je ne veux pas exiger de promesses mais oh comme j’aimerais que tu m’en fasses, même si je sais que tu ne les tiendras peut-être pas ». Je ne veux rien savoir des compliments, des déclarations, des aveux. Je ne veux pas être spéciale, je ne veux pas être forte, je ne veux pas être extraordinaire, je veux qu’on m’aime pour vrai, je veux pouvoir m’effondrer dans les bras de quelqu’un qui n’a pas peur de moi.
J’aurais voulu qu’il m’appelle, qu’il m’écrive, n’importe quoi, j’attendais un signe de vie, l’angoisse me dévorant les tripes. C’était une angoisse que j’avais presque oubliée, une angoisse de souffle court et d’ongles enfoncés dans les avant-bras, une angoisse qui me ramenait à mon idylle d’il y a quelques mois, idylle qui s’apparente à celle-ci de tellement de manières. Quelles étaient les chances de rencontrer, un an presque jour pour jour plus tard, un garçon du même âge, du même signe, dans la même ville? N’était-ce pas un gage d’échec, n’étions-nous pas condamnée d’avance? N’allait-il pas, lui aussi, rencontrer quelqu’un d’autre, baratiner sur sa quarter life crisis, me dire que j’étais arrivée dans sa vie dans une période de solitude et que maintenant qu’il avait retrouvé le sourire il ne pouvait plus être avec moi, puis prendre la poudre d’escampette? Il me donnait toutes les raisons du monde de lui faire confiance, et moi, malgré tout, je me trouvais toutes les raisons du monde d’être figée par la peur et de me sauver pendant qu’il était encore temps.
Je me suis souvenue qu’il m’avait souvent répété que les garçons sont stupides, et que les filles doivent leur dire ce qu’elles veulent, parce que les garçons ne le devinent jamais. J’ai alors réalisé que moi non plus, je ne lui avais pas vraiment donné signe de vie tout au long de la semaine. Je lui ai donc envoyé un petit mot hier après-midi, auquel il a aussitôt répondu, s’excusant de son silence tout au long de la semaine, me demandant de le pardonner de ne pas m’avoir parlé ces derniers jours. Un profond soulagement saupoudré d’un peu de honte m’a réchauffée des pieds à la tête et m’a empli les yeux de larmes. C’était aussi simple que ça. Je m’étais fait tout ce mauvais sang pour rien, je m’étais moi-même créé des remous incontrôlables et rendue malade en m’imaginant n’importe quoi. Il m’a déclaré qu’on se parlerait le soir-même.
Hier soir, épuisée par ma propre folie, je suis donc allée au lit très tôt en m’attendant être réveillée par le téléphone quelques heures plus tard. Je me suis réveillée vers trois heures, frappée par la déception lorsque j’ai constaté qu’il ne m’avait donné aucun signe de vie. Je me suis rendormie difficilement, sentant mes craintes refaire surface, et j’ai été plongée dans un rêve où il m’invitait chez lui avant d’aller baiser une autre fille, ce qui m’avait mis dans un état de crise atroce. Je me suis levée tôt, ce matin, épuisée et amortie par mon cauchemar, et toujours sans nouvelle de lui. J’ai flotté de longues minutes dans ma terreur, essayant de revenir à la surface, de me raisonner en me rappelant qu’il était lunatique, qu’il n’avait pas de mémoire, qu’il était probablement crevé par une intense semaine de travail, qu’il n’avait peut-être pas envie de jaser, bref, qu’il y avait un million d’autres raisons à son silence que « il me déteste ». J’ai tout raconté à une amie ce matin entre un café et un pamplemousse, me laissant craquer, pleurer un peu, évacuer le trop plein d’émotions des derniers jours.
J’ai peur, OK? J’ai fucking peur. Je suis anxieuse. Et angoissée. Et control freak.
Et j’étais probablement la seule à ne pas le savoir.
Bon. Fait que. Let’s beat the shit out of this fear.
«-You love yourself so much, so why is it crazy that someone else would too?
-…I don’t love myself.
-You’re the fucking worse, you know that? Because you think you’re not pretty, and you’re not a good writer, and you’re not a good friend. Well you are pretty, and you are a good writer, and you are a good friend.
-…Thank you.
-Is this the game? You chase me like I’m a fucking Beatles for six months and when I get comfortable then you shrug?
-…
-What the fuck is wrong with you?
-I’m scared, OK? I’m really scared, all the time. I’m like very scared all the time.
-Join the fucking club.
-No. Cause I’m more scared than most people are when they say they’re scared. I’m like the most scared person who’s alive.
-Well you don’t have the right to be! I told you, once I commit to something I really fucking commit! You asked for this! And now you’re being a fucking bitch.
-Adam! Come on! OK? You’re scared. I look at you I know you’re scared, you’re acting like you’re not but you are. I know you now, we’ve been doing this for a while, I know you now.
-Stop! Stop! You don’t know shit about me! You don’t know me and you don’t know yourself. You think because you’re, what, 11 pounds overweight, you know struggle?
-I am 13 pounds overweight and it has been awful for me my whole life!»
Girls, Season 1 Episode 10