Les murs sont blancs immaculés d’un bout à l’autre de mon cocon du Mile-End, à l’exception d’un chunk de jaune dans ma cuisine. Ce jaune-là y’était comme Marie-Chantal Toupin, non négociable; un jaune citron qui tire sur la lime, Carambole de son nom. Le jaune de ma sacoche préférée, souvenir chinatownien d’une escapade new-yorkaise d’une autre vie. Ma chambre est devenue un backstock pour des empilades de boîtes, et le nouveau royaume du divan-lit plus confo que tous les lits non divans du monde sur lequel s’échouent les bruncheux du weekend qui s’éternisent jusqu’aux petites heures du matin (c’est fou de même le brunch chez nous). Le plancher est tellement propre que tu y vois presque ton reflet, faut dire que lavé par une maman c’est jamais pareil. Ma nouvelle chambre c’est celle qui donne direct sur Bernard et ses lampadaires, ses voitures et ses familles boudinées. Dans mes tiroirs y’a un presse-ail, des boxers moule-poche, des vinyles de jazz.
Y’a eu un changement d’homme icitte tu catches.
L’homme de la maison est maintenant à quelques coins de rue avec son homme à lui dans une autre maison, et mon homme à moi est maintenant dans ma maison, notre maison. Y’a même le pauvre Boubou qui s’en vient; ça fait des semaines que je lui dis « Es-tu content Boubou? Tu vas devenir un chat hipster! On va t’acheter des lunettes mon Boubou! Es-tu content? Han mon Boubou, es-tu content? », pis lui me regarde avec un air de t’a-ferme-tu pis de on-était-tu-ben-entre-gars. Anyway.
On va être bien oui on va être bien. On va se faire un appart de Pinterest pis faire notre propre kombucha pis aller courir pis s’acheter des plantes pis se donner des bisous. C’est une vie de grande personne qui commence, la vie de grande personne que je veux, oui oui le processus tsé le switch ce fameux switch.
Dans le tourbillon du déboîtage pis du replaçage, c’est vrai qu’il y a quand même des étourdissements, des moments où la chienne me pogne, où j’ai juste envie de crier « LÂCHEZ TOUT! JE REVEUX MA PEINTURE JAUNIE PIS MES MOTTES DE POUSSIÈRE! JE VEUX PAS DÉPLACER MON DIVAN NI CHANGER DE TABLE, JE VEUX PAS CHANGER LES AMPOULES QUI ALLUMENT PLUS DEPUIS SIX MOIS! C’EST CHEZ MOI ET JUSTE MOI ICI, STOP! ». Il y a quelque chose d’infiniment terrifiant et triste dans le fait de voir toutes ses choses éparpillées ailleurs par mille et une mains, ses vieilles taches de bouffe grattées par quelqu’un d’autre, la nécessité de tous ses avoirs investiguée, pour faire de la place à une nouvelle personne qui arrive et qui ne partira pas. Parce que les objets, les meubles, la saleté même, tout ça, c’est des marques de ce qui était là avant, et les tasser, ça veut inévitablement dire passer à autre chose, et faire le deuil d’une partie de soi, devenir une moitié d’un nouveau tout, en essayant de rester entière, faire des compromis, des affaires de la grande personne que j’ai peur, parfois, de ne pas être encore prête à être.
Mais tsé, grande personne, c’est vite dit. J’te dirais que la plupart du temps c’est surtout des culbutes dans le salon, des marathons de Netflix, des soupers que c’est jamais moi qui prépare, des frenchs avec beaucoup de langue, des amis, les gouines au coin de la rue, des guitares, des jokes de caca-motton, des bières fancy. Deux beaux caves qui jouent aux adultes. Juste parfaitement comme je voulais.
Alors oui ma maison ce sera une maison d’amoureux, une maison de famille, avec mon homme à moi et Boubou et les plantes et le kombucha, et les deux autres hommes pas trop loin. Une nouvelle vie, c’est cliché de même.
On va être bien oui on va être bien.
<3 j'te le souhaite tellement, d'être beeeeen.